Télétravail : employer prouve limites de travail

Par une jurisprudence récente du 14 décembre 2022 (n°21-18.139), la Cour de cassation revient sur la charge de la preuve du respect des durées maximales du travail, notamment lorsque le salarié est en télétravail. Nous reverrons les notions clés, puis l’apport de cet arrêt rendu par la chambre sociale.

I. Les notions clés

A. Durée maximale de travail

La durée légale de travail effectif des salariés à temps complet est, en principe, de 35 heures par semaine [1]. Cette durée du travail peut néanmoins être adaptée conventionnellement ou contractuellement, mais reste soumise à certaines limites. Ainsi, la durée quotidienne de travail effectif ne peut dépasser 10h, sauf dérogation [2].

La durée maximale hebdomadaire du travail est soumise aux limites suivantes :
Elle ne peut dépasser 48h sur une même semaine de travail [3], sauf autorisation par l’inspection du travail pour circonstances exceptionnelles [4].
Elle ne peut dépasser 44 heures sur une période quelconque de 12 semaines consécutives [5], sauf accord collectif d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut de convention ou d’accord collectif de branche [6]. A défaut d’accord collectif, un dépassement peut être autorisé par la Dreets. Dans ces cas-là, la moyenne sur 12 semaines est portée à 46h maximum [7].

Les dispositions de l’article L3171-4 du Code du travail relatives à la répartition de la charge de la preuve des heures de travail effectuées entre l’employeur et le salarié ne sont pas applicables à la preuve du respect des seuils et plafonds applicables à la durée du travail. C’est donc à l’employeur seul d’établir que la durée du travail est respectée.

Les hypothèses de répartition de la charge de la preuve visées par l’article L3171-4 du Code du travail recouvrent les cas concernant la preuve des heures supplémentaires. Au regard de cet article, le salarié doit fournir des éléments suffisamment précis à l’appui de ses demandes et l’employeur doit y répondre utilement en produisant ses propres éléments. Le juge formera sa conviction au regard des éléments fournis par les deux parties. La charge de la preuve est ici partagée.

Lorsque la durée maximale de travail est dépassée, la Cour de cassation considère que le seul constat de ce dépassement ouvre droit à la réparation. Le salarié victime d’une telle violation n’a donc pas besoin de prouver de préjudice afin d’obtenir réparation [8].

B. Temps de repos et temps de pause

1) Temps de repos quotidien

Tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de 11 heures consécutives entre deux journées de travail [9]. Ces règles relatives au repos quotidien s’imposent au salarié. Ce dernier ne peut y renoncer, quand bien même il serait disposé à le faire [10]. Aucune durée légale minimale n’est en revanche imposée aux cadres dirigeants.

L’employeur peut déroger au repos quotidien :
En informant l’inspecteur du travail en cas de travaux urgents qui doivent être effectués sans attendre [11]
Par une convention ou un accord collectif pour certaines activités spécifiques, sous réserve de respecter une durée de repos quotidien de 9 heures [L3131-2 et D3131-6 du Code du travail].
A défaut de convention ou d’accord collectif, l’employeur peut être autorisé par l’inspecteur du travail à déroger à la durée minimale de repos quotidien en cas de surcroît exceptionnel d’activité [13].

Ces dérogations à la durée légale sont possibles à condition d’accorder au salarié une période de repos au moins équivalente.

2) Temps de repos hebdomadaire

L’employeur ne peut faire travailler un même salarié plus de 6 jours par semaine. Tout salarié doit bénéficier d’un repos hebdomadaire. Ce repos hebdomadaire est d’une durée minimale de 24 heures consécutives, auxquelles s’ajoutent les 11 heures de repos quotidien, soit une durée totale minimale de 35h [L3132-1 et L3132-2 du Code du travail].

Dans l’intérêt du salarié, la journée de repos est le dimanche. Dans certains cas, le repos dominical n’est pas possible. Il peut alors soit être reporté à un autre jour, soit réduit, soit supprimé, à des conditions qui varient en fonction des dérogations concernées.

3) Temps de pause

Dès que le temps de travail quotidien atteint 6 heures, le salarié bénéficie d’un temps de pause d’une durée minimale de 20 minutes consécutives. Une convention ou un accord collectif peut fixer un temps de pause supérieur [L3121-16 et L3121-17 du Code du travail].

Concernant les temps de pause, la Cour de cassation indique que dès lors que le temps de pause n’est pas respecté, le salarié peut demander des dommages et intérêts pour le préjudice subi. L’existence et l’évaluation de celui-ci relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Si le salarié ne rapporte pas la preuve de l’existence d’un préjudice invoqué au titre du non-respect du temps de pause, les juges rejetteront la demande d’indemnité [16].

Si le salarié doit apporter la preuve du préjudice qu’il a subi, c’est à l’employeur seul qu’il revient de prouver que ces repos ont bien été attribués [17]. Ainsi, il incombe à l’employeur, qui détient les plannings des salariés et qui dispose des éléments de preuve en matière de durée du travail, d’établir qu’il a respecté le temps de pause [18].

II. L’apport de l’arrêt du 14 décembre 2022 (n°21-18.139)

A. La charge de la preuve du respect des durées maximales de travail du salarié

Un arrêt récent, rendu le 14 décembre 2022 par la chambre sociale de la Cour de cassation, a apporté des précisions concernant la charge de la preuve du respect des durées maximales de travail du salarié en télétravail [19].

En l’espèce, un salarié travaillait deux jours par semaine sur site et trois jours à domicile en télétravail. A la suite du décès du salarié sur le trajet entre son domicile et son lieu de travail, ses ayants-droits ont saisi la juridiction prud’homale en paiement des heures supplémentaires non rémunérées, de dommages-intérêts pour violation du droit au repos et pour violation du droit à la vie privée et familiale.

La cour d’appel les déboute de leurs demandes. Pour cette dernière, s’il résultait des éléments produits que le salarié travaillait « beaucoup », il n’était pas démontré la violation par l’employeur de la législation sur le droit au repos, dans la mesure où le salarié effectuait deux jours en télétravail à son domicile et conservait une liberté d’organisation de son temps de travail en fonction de ses déplacements. La cour d’appel ajoute que l’amplitude horaire entre le premier mail envoyé par le salarié et le dernier ne permettait pas d’affirmer que le salarié était en permanence à son poste de travail et qu’il ne bénéficiait pas normalement de ses repos quotidiens. Ainsi, la Cour d’appel avait déduit que les ayants-droits du salarié ne justifiaient pas de la violation reprochée. Ces derniers se sont alors pourvus en cassation.

La Cour de cassation rappelle dans un premier temps les termes de l’article L3131-1 du Code du travail selon lequel « Tout salarié bénéficie d’un repos quotidien d’une durée minimale de onze heures consécutives ». Elle se fonde également que l’article 1353 du Code civil selon lequel « Celui qui se prétend libéré doit justifier le paiement ou le fait qui a produit l’extinction de son obligation ».

L’employeur, considérant qu’il a bien fourni au salarié ses temps de repos, doit le prouver.

La Cour de cassation vient donc conclure que, même lorsque le salarié effectue son travail en télétravail, c’est à l’employeur que revient la preuve du respect des seuils et plafonds prévus par le droit de l’Union européenne et des durées maximales de travail fixées par le droit interne. Les juges du fond avaient ainsi inversé la charge de la preuve.

B. Le contrôle de la durée du travail du salarié même en télétravail.

Le télétravail désigne toute forme d’organisation du travail dans laquelle un travail qui aurait également pu être exécuté dans les locaux de l’employeur, est effectué par un salarié hors de ces locaux de façon volontaire en utilisant les technologies de l’information et de la communication [20].

Le télétravailleur gère l’organisation de son temps de travail dans le cadre de la législation, des conventions collectives et règles d’entreprises applicables. Ce principe résulte du fait que le télétravailleur est dans la même situation que le salarié en présentiel. Il en résulte notamment que les dispositions relatives à la durée maximale quotidienne, aux durées maximales hebdomadaires, au temps de repos, au temps de pause et au décompte des heures de travail s’appliquent [21].

Le salarié n’étant pas présent dans l’entreprise, il est plus difficile pour l’employeur d’évaluer sa charge de travail et de vérifier le respect des durées maximales de travail ainsi que les temps de repos obligatoires. Les règles de décompte du temps de travail sont également plus délicates à mettre en œuvre. L’employeur devra alors trouver des modalités de contrôle adaptées : système d’auto déclaration (par le biais d’un logiciel de gestion des horaires installée sur l’ordinateur), système de surveillance informatisé (temps de connexion sur l’ordinateur) … L’utilisation du forfait jour permet d’évincer l’obligation d’effectuer un décompte horaire du temps de travail.

L’employeur devra néanmoins veiller au respect des temps de repos ainsi qu’aux durées maximales de travail de ses salariés au forfait.

L’adoption du télétravail n’exonère donc pas l’employeur de ses obligations en matière de contrôle de la durée du travail. En effet, la Cour de cassation indique dans l’arrêt du 14 décembre 2022 que l’employeur doit contrôler la durée du travail de son salarié même si ce dernier est en télétravail [22].

L’employeur doit être vigilant sur la nécessité de contrôler le temps de travail du salarié et d’éviter, par une absence de surveillance, que le salarié fasse des heures supplémentaires non demandées. Dans un arrêt rendu par la Cour d’appel de Chambéry, l’employeur ne réalisait aucun contrôle de la durée de travail de sa salariée. Il a été jugé que l’employeur se satisfaisait des heures effectuées par la salariée et acceptait donc implicitement la réalisation d’heures supplémentaires [23].

Article co-écrit avec Madame Madeleine SALOMON (stagiaire au cabinet).

Avocate inscrite au Barreau de Paris depuis mars 2005, Maître Xavière CAPORAL a rejoint le Barreau de Nantes en janvier 2019. Elle a également obtenu un DU de Médiateur à l’IFOMENE en 2021 et est membre de l’Association des Médiateurs Européens (AME). Elle est diplômée d’une Maîtrise de Droit privé (Master 1), mention droit des affaires (Université Paris II Panthéon ASSAS), d’un DEA (Master 2) en Droit des médias (Université Aix-Marseille III) et d’un DESS (Master 2) en Droit des nouvelles technologies de l’information et de la communication (Université de Versailles).

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